Le Réseau des Zones Ateliers (RZA, CNRS-INEE) incarne en France la recherche sur les socio-écosystèmes et le développement de ces nouveaux champs que sont les sciences de la soutenabilité (Kates et al., 2001) ou de la résilience (Holling, 2001), qui ont émergé depuis une vingtaine d'années. Egalement né au début des années 2000 (Lévêque et al., 2000), à la suite des PIREN et du programme Environnement, Vie et Société, le RZA s'est organisé petit à petit en un véritable réseau de zones ateliers, devenu SOERE en 2011 puis Infrastructure de Recherches (IR) en 2018. Avec l'IR OZCAR, le RZA contribue à la feuille de route européenne ESFRI via le nœud français d'eLTER-RI. Il aborde le fonctionnement et l'évolution, les trajectoires passées et futures des socio-écosystèmes sous l'emprise des différentes facettes du changement global. En appui très fort sur des approches disciplinaires au sein des champs des sciences de la nature (avec un accent marqué sur l'écologie) comme des sciences humaines et sociales (encore dominé par la géographie et l'économie mais avec des ouvertures de plus en plus fortes vers la sociologie, l'anthropologie et les sciences sociales du politique), les ZAs stimulent des approches véritablement interdisciplinaires entre ces grands champs disciplinaires tout en stimulant les co-recherches entre chercheurs et acteurs des territoires. Le RZA entend ainsi apporter une forte contribution à l'émergence des plateformes dites LTSER (Mirtl et al., 2013). Longtemps centré sur l'idée de résilience en développant une approche centrée sur l'action collective et la co-gestion adaptative (Kofinas, 2009 ; Bretagnolle et al., 2019), le RZA entend aujourd'hui également contribuer à la transformation des territoires vers davantage de soutenabilité, en dépassant la seule adaptation à travers une approche qui combine les sciences de la soutenabilité et l'écologie politique comme discipline scientifique (Ingalls et Stedman, 2016).
Interdisciplinarité large, forte et réelle, hybridation des connaissances, co-construction des savoirs, participation, long-terme, confiance, sont autant de mots clés de cette approche, trop souvent galvaudés, alors qu'ils sont essentiels pour aborder toute la complexité des socio-écosystèmes et faciliter le passage à l'action, dans une perspective transformationnelle. Les mots ont un sens, ils impliquent en l'occurrence de profondes transformations dans notre façon même de conduire nos recherches : il s'agit de faire un pas de côté, de sortir de nos zones de confort ; d'accepter que les connaissances ne sont pas le seul apanage des scientifiques, d'accepter de repenser/dépasser les frontières entre recherche fondamentale et recherche appliquée, entre le scientifique et le politique... De prendre du recul pour repenser nos rapports à l'autre et à la nature, à la science et à la technologie mais également, au travail et au temps. Ces approches sont donc fondamentales en ce qu'elles permettent de lutter contre les nombreuses dérives à l'œuvre un peu partout aujourd'hui : simplification, désinformation, replis sur soi, marchandisation et rationalisation galopantes, tout technologique et gouvernance par les nombres, accélération... Ces approches nécessitent de repenser le sens même de notre activité de recherche, tant dans ses objectifs que dans ses pratiques et donc dans son évaluation.
C'est tout l'objectif du RZA (2021-2025) que de construire une feuille de route qu'il entend partager avec toutes et tous pendant ces prospectives, en présentant son organisation pour aborder en inter-ZA, ces grandes problématiques qui touchent aussi bien à la transformation des socio-écosystèmes qu'à celle de la recherche elle-même. Une douzaine de groupes de travail (GT) se met aujourd'hui en place dans cette perspective : ils visent à servir de creuset pour l'émergence d'écritures et de projets inter-ZAs. Plusieurs d'entre eux sont centrés sur des objets de recherche transverse comme la gouvernance ou les trajectoires des socio-écosystèmes, le rôle des aires protégées dans la conciliation des usages et de la biodiversité ou encore, l'interface santé-environnement. D'autres sont davantage orientés « IR » : données et science ouverte, communication interne et externe, liens avec la formation, services et indicateurs, européanisation. Trois d'entre eux enfin, concernent le processus de recherche lui-même et en particulier, les freins et leviers à l'interdisciplinarité et aux co-recherches avec les acteurs du territoire (transdisciplinarité) et toutes ces questions soulevées plus haut, liées à notre rôle de chercheur dans la transformation et à l'évolution des pratiques de recherche.
Le RZA et la diversité des ZAs qui le composent, se veut donc à la fois (i) une mosaïque de laboratoires à ciel ouvert où ces approches inter- et trans-disciplinaires (co-construction des savoirs entre disciplines, entre chercheurs et acteurs) peuvent se déployer, être testées pour accompagner les territoires dans leur transformation vers davantage de soutenabilité ET (ii) un terrain pour penser la question des changements d'échelle à travers des études comparatives et/ou le test d'hypothèses sur le fonctionnement et l'évolution des socio-écosystèmes, le long de gradients qui peuvent être climatiques, anthropiques, ou d'historique des relations chercheurs-acteurs par exemple. Il offre également la possibilité de penser notre responsabilité de chercheurs et personnels de l'ESR (Ragueneau et al., 2020), l'évolution de nos objectifs et pratiques de recherche dans l'anthropocène, notamment à travers la mise en place de ces GTs dont il convient d'aborder les possibles articulations avec d'autres cadres qui œuvrent dans cette direction, tant au sein du monde de l'ESR (e.g. labos 1point5) qu'en dehors, par exemple avec le Tiers Secteur de la Recherche (TSR).
Références
Bretagnolle V. et al., 2019. “Action-orientated research and framework: insights from the French long-term social-ecological research network”, Ecology and Society 24(3):10.
Holling, C.S., 2001. Understanding the Complexity of Economic, Ecological, and Social Systems. Ecosystems, 4 : 390-405.
Ingalls, M.L. and Stedman, R.C., 2016. The power problematic: exploring the uncertain terrains of political ecology and the resilience framework. Ecology and Society, 21(1) : 6.
Kates R.W. et al., 2001. Environment and Development, Sustainability Science. Science, Policy Forum, 292(5517) : 641-642.
Kofinas, G.P., 2009. Adaptive co-management in social-ecological governance, In: Chapin, F.S. III, Kofinas, G.P., Folke, C., (Eds), Principles of ecosystem Stewardship, Resilience-based natural resource management in a changing world, 2009. Springer. Chapter 4: 77-101.
Lévêque C., Pavé A., Abbadie L., Weill A., Vivien F.-D., 2000. Les zones ateliers, des dispositifs pour la recherche sur l'environnement et les anthroposystèmes, Natures, Sciences, Sociétés, 8, Issue 4, ISSN : 1240-1307 Online ISSN : 1765-2979, p. 43-52. https://doi.org/10.1016/S1240-1307(01)80005-4. Version en ligne : https://books.openedition.org/pufr/2383?lang=fr
Mirtl M, Orenstein DE, Wildenberg M, Peterseil J, Frenzel M., 2013. Development of LTSER platforms in LTER-Europe: challenges and experiences in implementing place-based long-term socio-ecological research in selected regions. In: Singh SJ, Haberl H, Chertow M, Mirtl M, Schmid M (eds) Long term socio-ecological research. Springer, Dordrecht, pp 409–442.
Ragueneau, O., 2020. Changement clim-éthique. Agir Global, Penser Local et autres retournements jubilatoires. Librinova, 850 p.
Ragueneau, O., Capet, X., Guillet, V., Ben Ari, T., Berné, O., Aumont, O., Guimbretière, G., L'Hoste, E., Anglaret, X., Camille Noüs, 2020. Sur la responsabilité de l'ESR en ces temps incertains. Collectif Labos 1point5 : https://labos1point5.org/static/Labos1point5_ResponsabiliteESR.pdf